Les réseaux sociaux favoriseraient les troubles alimentaires - Une étude américaine récente[1] établissait un lien entre utilisation abusive des réseaux sociaux et troubles du comportement alimentaire. Selon les auteurs, l’usage intensif de Facebook, Instagram, etc favoriserait...

l’obsession de la minceur et de l’alimentation saine en diffusant d’innombrables images de corps sveltes, en exhortant les utilisateurs à manger sain ou encore en les incitant à se lancer dans des « challenges fitness » (recherche de perte de poids la plus rapide possible). L’étude indiquait que sur les 1765 personnes interrogées (âgées de 19 à 32 ans), celles qui surfaient le plus sur les réseaux sociaux présentaient un risque sensiblement plus élevé (entre 2,2 et 2,6 fois plus) de développer des troubles alimentaires comme l’anorexie, la boulimie ou l’orthorexie.

Même si aucun lien de causalité entre consultation des réseaux sociaux et troubles du comportement alimentaire n’a pu être démontré, ce lien semble à première vue plausible. Pour autant, il ne faut pas oublier que le comportement alimentaire est complexe et qu’il est le résultat d’une multiplicité de facteurs. Sur cette question de l’impact des réseaux sociaux, d’autres chercheurs[2] ont ainsi observé que les troubles alimentaires qui apparaissent liés à un usage excessif de ces nouveaux média se développent surtout dans des zones géographiques où la prise en charge des personnes est insuffisante, voire inexistante (déserts médicaux). Faute d’avoir trouvé une oreille attentive de la part des personnels de santé, certains sujets vont alors chercher sur internet et les réseaux des réponses à leurs interrogations et inquiétudes alimentaires.

Internet et les réseaux amplifient peurs et fausses croyances alimentaires

En matière d’alimentation comme dans d’autres domaines (celui de la vaccination par exemple), les peurs, les fausses croyances, la crainte des technologies ou encore le « précautionnisme » se sont exacerbés à partir du début des années 2000. Le sociologue Gérald Bronner[3] note que cette période correspond à l’essor d’internet et des réseaux sociaux, et il établit un lien étroit entre ces différents phénomènes. Les nouveaux média numériques, fait remarquer le chercheur, permettent la diffusion massive et immédiate dans tout l’espace public de toutes les opinions et de toutes les croyances… y compris les plus fausses et les plus extrémistes. Ces outils d’information et de communication constituent ainsi une courroie de transmission efficace de toutes les peurs que véhicule notre monde contemporain. Des peurs décuplées par la surabondance des informations et des points de vue, et leur caractère contradictoire, voire cacophonique.

Aujourd’hui, le savoir, le fait objectif ou la démonstration scientifique perdent de leur valeur : ils sont de plus en plus souvent réduits au rang de simples opinions parmi d’autres ! Le web et les réseaux sociaux véhiculent d’innombrables avis et jugements subjectifs, ceux-ci étant de plus en plus souvent méfiants et craintifs. Or, aux yeux du grand public, ces points de vue sont aussi pertinents que les conclusions des experts.

Parce qu’ils sont souvent très motivés à diffuser le plus largement possible leur opinion, la voix des opposants aux technologies innovantes, aux filières et aux entreprises (p.ex. agricoles et alimentaires) ou à certains produits ou aliments… est prépondérante dans les nouveaux espaces de communication. Internet et les réseaux deviennent ainsi les voies privilégiées de transmission de ce que Bronner nomme les « récits de la crainte ».

L’effet Google University

Steven Novella, un professeur américain de neurologie, a été un des premiers à souligner un effet pervers d’internet : cet outil accroît la propension de certaines personnes à se considérer et à s’afficher comme expertes d’un sujet après avoir effectué leurs « propres recherches » sur le web[4]. Cette prétendue expertise liée au sentiment de savoir les amène parfois à réfuter le point de vue contraire des véritables experts, même lorsque ce dernier est consensuel. Dans une étude publiée[5] en 2015 dans le Journal of Experimental Psychology, Matthew Fisher a montré que l’acte de chercher soi même des informations sur le web confère une confiance dans ses propres connaissances supérieure à celle que donne d’autres modes d‘acquisition (p.ex. en questionnant des personnes compétentes sur le sujet).

Un autre biais lié à la recherche d’information - particulièrement par internet et sur des sujets polémiques - est le biais de confirmation. Souvent de manière inconsciente, nous avons tendance à sélectionner les informations qui confirment ce que nous croyons déjà où ce que nous avons envie de croire (p.ex. le caractère toxique de tel aliment ou ingrédient). Le danger de ce biais réside précisément dans le fait qu’il nous donne l’illusion que les données et les faits confirment nos croyances a priori. Citons enfin l’effet « caisse de résonance » : il fait référence à .la multiplication sur internet et les réseaux sociaux de communautés partageant et mettant en avant un seul point de vue ou ensemble de données ; de surcroît, le groupe conforte l’individu dans son opinion.

Au-delà de ces biais informationnels, internet et les réseaux constituent également un relais de diffusion efficace de toutes les fausses informations, fake news et autres « faits alternatifs », propagandes et idéologies... A cet égard, on peut déplorer le fait que la quasi-totalité de la population n’ait pas reçu de formation sur la façon de rechercher, de sélectionner et d’analyser l’information disponible sur internet et les réseaux, de façon à éviter les pièges et les risques les plus courants. Dans ce domaine comme ailleurs, une éducation à la pensée critique (constructive) serait la bienvenue.

 

[1] (1) The Association between Social Media Use and Eating Concerns among US Young Adults. Jaime E. Sidani, Ariel Shensa, Beth Hoffman, Janel Hanmer, Brian A. Primack, Journal of the academy of nutrition and dietetics. September 2016 Volume 116, Issue 9, Pages 1465–1472.

[2] Le phénomène « pro-ana ». Troubles alimentaires et réseaux sociaux. Antonio Casilli et Paola Tubaro. Éd. Presses de l'École des Mines, 2016.

[3] Bronner G (2013). La Démocratie des crédules, PUF, Paris.

[4] Article publié sur Neurologicablog, le 6 avril 2015

[5]  “Searching for Explanations: How the Internet Inflates Estimates of Internal Knowledge;” Matthew Fisher, MA, Mariel K. Goddu, BA, and Frank C. Keil, PhD; Yale University; Journal of Experimental Psychology: General; online March 31, 2015.

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